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Les mystères du baroque chinois

Quelqu’un a dit qu’en musique, on aimait mieux reconnaître que connaître, et ce n’est pas faux : six Requiem de Fauré et autant de Magnificat de Vivaldi s’annoncent prochainement dans la région et ils feront sûrement le plein.

Mais dès sa création en 1987, l’ensemble baroque Orfeo a choisi une autre voie, celle de la curiosité et de l’aventure car les œuvres sont innombrables et de plus en plus disponibles. Au prix de quelques recherches (les partitions se trouvent souvent… chez le marchand!), nous avons donné des programmes par dizaines et trouvé des pépites qui ont séduit un public, à présent nombreux et curieux, lui aussi.

Après le baroque du Portugal, d’Amérique du sud, de Québec ou de la Venise juive, voici donc la musique issue de l’aventure des Jésuites en Chine. Pour la Compagnie de Jésus, et d’autres ordres missionnaires, l’évangélisation était intimement liée à la culture. Les prêtres envoyés au loin étaient aussi des musiciens ; on raconte que les indigènes de la forêt canadienne s’approchaient quand ils entendaient chanter et apprenaient volontiers des cantiques qu’on écrivait pour eux dans leur langue (Orfeo en a chanté en abénaki!!). Au Paraguay, en Bolivie, on enseigna aussi aux indiens la fabrication des violons et violoncelles pour qu’ils jouent des opéras sacrés en costumes qui firent beaucoup pour le christianisme.

La Chine fut un enjeu bien plus considérable avec sa civilisation raffinée et millénaire. Aux XVII° et XVIII° siècles, on envoya donc, à la cour de l’empereur, des Jésuites lettrés, astronomes et mathématiciens au savoir immense, et qui apprenaient rapidement le chinois ; les musiciens en soutane étonnèrent d’abord par leur capacité à noter à l’instant la musique entendue, à fabriquer des orgues complexes. « Le succès fut tel que nous fûmes obligés de placer de la soldatesque pour éviter les désordres de la grande foule qui s’assemblait… l’auteur de l’orgue étant obligé à jouer pendant plus d’un mois plusieurs heures par jour. »

On offre à l’empereur des clavecins et des clavicordes, fort décorés comme il se doit. La religion catholique a donc droit de cité à Pékin et les convertis sont nombreux. Des offices splendides avec processions, instruments et habits magnifiques sont animés par des chœurs et chantres en partie européens, en partie chinois ; on a retenu le nom du converti Ma André, devenu habile maître de chapelle. Que chante-t-on à Pékin ? Pour l’essentiel, des messes et motets en latin apportés d’Europe, mais aussi des cantiques chinois écrits par les pères, tel un « Yawu Maliya » ou Ave Maria. Lors du concert d’Orfeo, le récitant conte l’histoire de Joseph-Marie Amiot, jésuite flûtiste et compositeur, admirateur de la musique chinoise dont il a noté et arrangé des airs au XVIII° siècle.

Et hors de l’église, que joue-t-on ? Les pères sont curieux d’entendre la musique du pays, achètent, admirent et envoient en Europe des gongs, orgues à bouche et carillons . Eux-mêmes interprètent devant l’empereur (parfois à genoux!) des pièces françaises ou italiennes pour les instruments. Mais la communication est plus ardue : les œuvres chinoises sonnent pauvres et monotones aux oreilles des occidentaux, tandis que les lettrés chinois trouvent nos sonates agitées, embrouillées et fatigantes.

La synthèse est donc bien difficile, et le sera aussi pour la religion ; les jésuites (qui portent longue barbe et bonnet local) tentent des rites chinois, des rapprochements avec le confucianisme, mais le pape s’y oppose, et le rêve d’une Chine chrétienne s’évanouit avec l’interdiction de l’ordre des jésuites, à la fin du XVIII° siècle.

Cependant, l’église catholique a gardé sa petite place à Pékin, et même Mao n’a pu venir à bout des chrétiens. Aujourd’hui dans la capitale, on célèbre toujours la messe dans l’église du Beitang, fondée il y a plusieurs siècles, et les musicologues ont réappris au chœur les cantiques que le père Amiot composa pour lui il y a près de 250 ans. Yameng.

Un grand merci au musicien et chercheur Jean-Christophe Frisch qui nous a communiqué des partitions inédites. FR Avril 2018